Avril
Parce que l’essence est innée alors que la personnalité se forme pendant l’enfance, nous pouvons comprendre plus clairement l’état de l’essence en observant les petits enfants. Pour un enfant, tout semble frais et plein de curiosité. Tout ce qu’il voit et expérimente le pénètre profondément et lui laisse une impression durable. Leur capacité intellectuelle à nommer ce qu’ils vivent n’est pas encore développée, de sorte que lorsqu’ils voient un brin d’herbe, ils ne savent pas l’appeler « herbe ». Pour eux, il peut tout aussi bien s’agir d’un gratte-ciel miniature parfaitement placé dans une métropole verte sans fin. Un arbre n’est pas encore un « arbre » ; c’est une gymnase-jungle, un complexe d’appartements pour les oiseaux, ou un éventail infini d’autres possibilités. Un oiseau est un miracle de plumes irisées, spectaculaire dans ses mouvements et ses chants. Au fur et à mesure que l’enfant progresse vers l’âge adulte, le voir est progressivement remplacé par le savoir, et l’essence se couvre d’un manteau de personnalité de plus en plus épais. Ce qu’ils expérimentent ne pénètre plus directement comme auparavant, mais est filtré par des associations, des comparaisons et des critiques – si tant est que ce soit perçu. En comparant l’état des enfants à celui des adultes, nous constatons que l’essence absorbe et que la personnalité rejette. La compréhension de ce phénomène nous permet d’orienter notre agriculture. Pour affaiblir la personnalité et renforcer l’essence, nous devons absorber davantage et rejetter moins, et nous absorbons en prêtant attention.
L’attention fonctionne de manière mystérieuse. Elle capture, dans un champ fixe, de la matière ou de l’énergie qui, sans elle, se diffuserait indéfiniment. Lorsque nous nous asseyons sur un banc dans un parc, les objets de notre environnement sont là en permanence – l’herbe, les arbres, le chant des oiseaux – mais tant que nous n’y prêtons pas attention, ils n’existent pas pour nous. Une fois que nous leur prêtons attention, non seulement ils prennent vie pour nous, mais ils nous influencent également avec de nouvelles perceptions et émotions. Notre essence se nourrit de ces impressions, tout comme notre corps se nourrit de nourriture physique. Pour le démontrer, notre agriculteur d’avril présente deux semis, l’un flétri et l’autre en bonne santé. Une feuille saine se nourrit de la lumière du soleil, tout comme l’essence se nourrit d’impressions. Elle fixe l’énergie électrique dans la matière cellulaire tout comme l’essence absorbe les impressions et est influencée par elles. La lumière du soleil est toujours là, c’est à la feuille de l’utiliser. Les impressions sont toujours là, c’est à nous de les absorber en y prêtant attention. Cela signifie qu’il est en notre pouvoir d’influencer notre essence en dirigeant notre attention.
Une méthode efficace pour mettre cela en pratique est l’exercice du regard. Pendant une minute, nous absorbons un élément visuel après l’autre dans notre environnement immédiat. Par « absorber », nous entendons percevoir ce que nous regardons sans y attacher d’association verbale. Le défi consiste à rester attentif à chaque impression suffisamment longtemps pour l’absorber, mais pas assez longtemps pour permettre à notre fonction de réflexion de générer des associations avec ce que nous voyons. Par exemple, lorsque vous êtes assis dans un parc, regardez le banc, puis l’herbe, puis un arbre, puis des oiseaux en vol – dans le but de les voir réellement, plutôt que de simplement enregistrer leur présence. L’objectif est de nous forcer à privilégier les impressions qui nous entourent plutôt que nos associations habituelles ou nos rêveries. L’un des grands avantages de cette méthode est qu’elle peut être pratiquée n’importe où. C’est en soi une leçon qui aide à dissoudre l’illusion que nos efforts internes requièrent des conditions favorables.
Si, en effet, nous constatons que la prise d’impressions entraîne un changement tangible de notre paysage intérieur, avec un crescendo d’émotions, ce n’est pas une mince révélation. Nous avons trouvé un moyen d’affaiblir la personnalité et de nourrir l’essence qui est presque toujours applicable. Très peu de situations de la vie quotidienne favorisent l’essence au détriment de la personnalité. Nous avons trouvé un moyen de commencer à inverser cette tendance. À tout moment, nous pouvons faire un effort pour absorber – voir ce qui se trouve devant nous, sentir notre corps se presser contre notre chaise, favoriser l’écoute des autres plutôt que l’envie de parler – et ce faisant, nous revitalisons les feuilles flétries de notre essence.
C’est le travail d’avril.