Exercice «briser le verre»

Notre fonction émotionnelle déforme notre perception du monde en nous plaçant au centre de celui-ci. Trompés par ce préjugé, nous prenons tout personnellement et éprouvons des sentiments face à des situations qui n’ont pas à en susciter…

Lorsque nous commençons à étudier notre fonction émotionnelle, nous tombons sur une attitude sous-jacente qui rend l’observation des émotions particulièrement difficile. Leur surgissement même nous emporte. Elles semblent tellement justifiées : «J’adore ceci», «Je ne suis pas d’accord avec cela», «Je ne peux plus supporter cela», etc. Nous sommes aveugles à la possibilité de réagir autrement. Cet abandon de notre sens du «je» face à nos émotions s’appelle l’identification et c’est là que doit commencer notre travail de septembre.

Pour aider à créer un fossé entre nos émotions et notre capacité d’observation naissante, les praticiens ont été chargés de commander un verre d’eau dans un café local, puis de laisser discrètement le verre leur échapper et tomber sur le sol. Un tel acte, qui nous fait délibérément passer pour un idiot en public, est diamétralement opposé au besoin de validation sociale de notre fonction émotionnelle. Ce n’est pas tant l’acte lui-même que l’intention d’avoir l’air idiot qui risque de nous diviser en deux. D’une part, il y a notre réaction émotionnelle habituelle de honte et d’embarras, et d’autre part, le fait de savoir que nous avons délibérément provoqué cette situation.

«L’exercice a commencé à donner lieu à des observations bien avant que le verre lui-même ne tombe», a rapporté un praticien. « J’ai été surpris par les préoccupations enfantines qui circulaient en moi alors que je me demandais dans quel café me rendre. Les verres se brisent tous les jours dans les cafés, mais la perspective de le faire délibérément était assez intimidante. J’étais consummé par la tâche à venir tout au long du trajet jusqu’au café local, comme si j’étais sur le point de commettre un crime. C’était difficile et ridicule en même temps».

Notre fonction émotionnelle est par nature sous-développée. Elle déforme notre perception du monde en nous plaçant au centre de celui-ci. Tout tourne autour de nous, tout le monde nous ignore ou conspire contre nous, tout le monde devrait penser à nous et prendre nos besoins en considération. Trompés par ce préjugé, nous prenons tout personnellement et éprouvons des sentiments face à des situations qui n’ont pas à en susciter.

«J’ai été surpris de constater que quelque chose d’aussi simple pouvait être aussi difficile », a déclaré un autre. « Une grande partie de moi a essayé de minimiser l’impact potentiel de l’exercice. Tout d’abord, j’ai pensé à choisir un café qu’aucune de mes connaissances ne fréquente. Ensuite, j’ai espéré obtenir un verre en plastique. Ensuite, j’ai espéré que le verre tomberait sur la tapis au lieu du sol. Et enfin, j’ai espéré que personne, à part le serveur, ne le remarquerait.»

«C’était bizarre et un peu inquiétant», a déclaré un troisième praticien. «Je savais que je jouais un rôle et je me suis retrouvé étrangement dissocié de moi-même. C’était comme si j’observais une autre personne sans être attaché à aucune de ses émotions », ce qui est précisément le but de cet exercice. S’il est exécuté correctement, un fossé apparaît entre «moi» et «mes émotions», provoquant, pour ainsi dire, une expérience hors du corps . Nous sommes nous-mêmes et pas nous-mêmes en même temps. De ce point de vue inhabituel, nous pouvons observer tout le spectre de nos émotions autrefois invisibles. Mais il faut pour cela que nous fassions cet exercice avec l’attitude appropriée. Tout au long de l’exercice, nous devons garder à l’esprit que nous jouons au fou pour rompre l’identification avec nos émotions. Dès que nous perdons cela de vue, notre vanité s’attribue le mérite d’être allée à l’encontre de nos réactions habituelles et fausse notre objectif initial.

Un quatrième praticien a rapporté être tombé dans ce piège. Il avait suivi toutes les étapes prescrites, expérimenté une grande partie de ce qui a été partagé ci-dessus, puis juste avant de quitter le café, n’a pas pu s’empêcher de révéler à son entourage qu’il avait fait tomber le verre volontairement. Sa vanité ne supportait pas qu’ils ne sachent pas qu’il avait délibérément fait l’imbécile. Bien sûr, la révélation de l’intention qui sous-tend cet exercice en rompt l’efficacité. On se libère de l’identification pour la reconstruire ailleurs. Ce praticien a arraché la défaite des mâchoires de la victoire.

Succès ou échec, nous apprenons toujours quelque chose sur nous-mêmes, tout comme les autres praticiens exposés à nos découvertes. Briser un verre dans un café est, il est vrai, l’une des méthodes les plus théâtrales présentées dans cet enseignement et ne peut être pratiquée régulièrement sans perdre de son efficacité. Les méthodes théâtrales ont leur place, mais au fur et à mesure que nous nous habituerons à observer nos émotions comme étant séparées de nous-mêmes, les méthodes extrêmes ne seront plus nécessaires. Nous apprendrons progressivement des manières plus subtiles de moissonner le la même récolte.